mercredi 27 février 2013

J'ai l'âme de l'enfant et la mémoire du vieux

Avant même d'être entrée dans le bloc je frissonne. Les murs de carrelage, la lumière étourdissante et mon image, sur l'écran de coelio, quand la caméra est posée sur le corps endormi de la patiente. Le masque est tiré jusque sous mes yeux, je respire mal dedans mais je peux rester moi derrière. Ma bouche bée quand le liquide amniotique chaud coule sur mes mains, mon ventre qui se gonfle d'étonnement quand le bébé sort les yeux ouverts, en nous regardant l'air de dire eh salut, je suis arrivé maintenant, tout va bien, les palpitations au coeur quand j'ai donné ma main à serrer à cette dame terrorisée par l'anesthésie parce que je sais que moi aussi j'en voudrais une de main chaude dans la mienne, les larmes qui ont un peu coulé, juste une fois je ne voulais pas leur donner cet honneur quand ça a été trop toutes ces humiliations.

Parce que oui, même si je le savais que ça serait dur et qu'on nous testerait, même si on est tout en bas de l'échelle, même si c'est la tradition, même si mais-voyons-c'est-pas-méchant il y a des choses que je n'aurais pas cru devoir accepter. Un matin ils m'accusent d'avoir gâché la vie d'une dame, et là ça déborde. Je me lève en 30 secondes quand on m'appelle à 4h30 du matin et que je me suis allongée pour la première fois depuis vingt heures de garde il y a quelques minutes, je ne réponds plus à mon prénom mais éternellement à "l'externe", je lance des tonnes de bonjour pour n'avoir aucune réponse, je ne dis rien quand une interne m'accuse de ses erreurs à elle devant une patiente, alors cette fois je ne me laisserai pas faire. Aujourd'hui quand ils nous ont demandé si ils nous avaient donné envie de faire leur métier, j'ai doucement rigolé. Je sais surtout comment je ne traiterai pas mes étudiants, les gars.

& puis ce matin, "Et surtout vivez une vie de femme enceinte, une vie paisible et douce", a dit le médecin à la dame qui rentrait aujourd'hui s'occuper de ses enfants et laissait derrière elle quelques jours d'hospitalisation. Et j'ai pensé, oh je crois que je vis une vie de femme enceinte. Je ne sais pas qui (ce que ?) je couve, mais je m'entoure de coton et d'une chaleur rassurante dès que je quitte l'hôpital, je me protège de tout, du moins j'essaie, je suis comme anesthésiée du piquant du dehors et je ne veux pas me laisser atteindre par le ciel qui reste désespérément gris. Au creux de ma chambre ça sent l'Hibiscus Pourpre, on boit du chaï citrouillé et on sourit des jours qui arrivent.

2 commentaires:

  1. Voilà, après avoir lu le blog presqu'en entier, j'ai eu l'impression de lire l'histoire de ma vie si j'avais eu le talent de l'écrire.
    Je suis un peu plus loin et je suis architecte pas médecin... Je l'ai laissé revenir c'était une erreur que j'ai payée 6 ans plus tard mais jamais regretté, j'avais 21 aussi, c'était l'été aussi.
    Je suis en train de changer de métier mais c'est tellement chouette de se réinventer, de se rencontrer...

    Encore merci et bravo

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