dimanche 25 décembre 2016

vingt six

Peut-être que j'aurai moins d'appréhension à ajouter un hiver à mon âge si je garde de ces vingt-cinq ans quelque chose de chaud, posé dans un coin. Les jolies choses de ces douze mois pendant lesquels j'ai pourtant (on a, je crois) morflé méchamment. Alors je veux me souvenir, 
* de la rencontre avec cet enfant de quatre ans et demi qui a illuminé mon été, ses petites phrases appliquées et son rire contagieux, son sourire quand il est venu me chercher dans mon nouveau service, les cœurs dessinés sur ma main et celui accroché dans mon salon. 
* de ce voyage d'été seule, dix jours en tête à tête avec moi même à pleurer ce qu'il fallait pour continuer à avancer, à regarder trois fois par jour les billets retour mais sans jamais craquer. Je ne sais pas si je serai capable de reprendre un billet pour cette île là, je ne crois pas, mais je lui dois beaucoup.
* de ces deux amies qui à elles seules valident le choix de cette ville, de nos soirées à pleurer (encore) manger rire et boire un peu, ensemble 
* de ces trois mots encrés sur mes côtes, de leur évidence
A 26 ans je voudrais apprendre à laisser la peur de côté, enlever mon manteau de chagrin et avancer plus légère. 

mercredi 26 octobre 2016

Il y a une fille qui penche

A ma droite la guirlande qui fait un peu noël et m'autorise à compter les jours avant celui où on se retrouvera ici tous les quatre, juste en dessous de la grande étoile lumineuse, la première installée. Un plaid sur les jambes, celui qui m'accompagne depuis les premiers jours de D4 et qui a essuyé tant de morve et de larmes que je ne pourrai jamais l'échanger, un thé brûlant au pain d'épice que ma co interne m'a offert, un matin de l'été où ça n'allait pas du tout et Agnel Obel en boucle depuis ce précieux moment chez E.. C'est mon dernier jour de vacances avant l'année deux mille dix sept et je ne sais pas bien quoi faire de moi même. Evidemment qu'il y a la salle de sport, les courses, l'article à rédiger, mais tout semble demander tant d'efforts, être si au-dessus des forces dont je dispose, là. La tristesse, en s'effaçant peu à peu, a laissé un champ de bataille en friche sur lequel les envies les idées l'énergie ne poussent pas (encore ?). Je n'ai plus mal, puisque je ne sens plus rien, sauf une fatigue immense. Les yeux grands ouverts dans le noir je négocie chaque nuit entre le repos et l'envie de laisser de côté les petits comprimés magiques. Cryoconservation, a dit quelqu'un. J'attends le dégel. 
Avec C. on parle des heures durant de ce stage qui nous a illuminées et des enfants qu'on connait toutes les deux, comme si c'étaient des petits potes, comme si ils faisaient partie du quotidien maintenant et qu'on allait continuer à se donner des nouvelles, se croiser tous les jeudis pour le pansement et le mardi pour la prise de sang. Mais non, on part ils restent, et ne se souviendront surement pas de cette flopée d'interne, eux qui en voient bien trop pendant leur long séjour à l'hôpital. En attendant, on monte des plans pour accueillir les futurs venus, on se filme en train de danser dans les couloirs, on prend des photos la bouche pleine de bonbons, et ils font la moue, un peu, quand je dis que la semaine prochaine je ne serai plus là. Si vous saviez les rires, si vous saviez les mots d'adultes dans leur bouche, la simplicité avec laquelle ils parlent de ces trucs violents que la maladie leur impose, si vous saviez les courses dans le couloir sur les pieds à perf ou les petits camions en plastoc ou nos épaules, si vous saviez la fierté dans ses yeux quand il m'a offert une boite de chocolats et son sourire à elle quand je lui ai montré où j'avais accroché son dessin, si vous saviez comme on est heureux quand celle qui hurlait il y a quelques semaines nous saute au cou et fait le tour du service pour dire bonjour à tout le monde. Il y a eu des journées d'une violence atroce, des soirs où je rentrais hébétée de ce à quoi j'avais assisté, des pleurs que je n'ai raconté à personne parce que voilà, comme m'a dit quelqu'un, tout le monde n'a pas envie de savoir que ça existe. Mais c'est pas ça qui gagne, comme il dirait. Je voudrais les remercier, tous, pour les six mois de joie.



samedi 10 septembre 2016

la nuit putain je n'oublie presque rien

Un an ici. On avait marché sous le soleil, timides arrivés dans cette ville qu'il me faudrait apprivoiser, mais ses pas dans les miens je me sentais capable de conquérir le monde. On avait visité des appartements biscornus, mal fichus, et puis la dame de l'agence avait dit, au fait, j'en ai un autre à vous montrer si vous voulez bien, et on avait eu le coup de foudre, boum, pour la cheminée et le grand miroir dans la chambre, pour le salon immense et baigné de lumière, pour les travaux qu'on y ferait ensemble, pour les murs qui n'attendaient que les petites choses accumulées avec soin depuis des mois. Avant de rentrer à Paris on avait bu une grande bière à la terrasse de ce bar devant lequel je passe chaque matin chaque soir, et j'y pense toujours, un an après, à cette joie qui nous habitait. À l'excitation à l'idée de ce qui arrivait. On avait repeint en blanc, aménagé la chambre, posé une plante sur le faux parquet et dîné des pâtes et des smoothie dans le grand lit qui sentait encore le poivre, un soir de septembre, le premier ici. Un automne pour s'installer. On avait découvert ce bistrot au bout de ma rue qui aura été le fil rouge de ma première année, et qui va fermer ses portes dans les jours à venir. Notre burger inscrit à la carte, et tous les gens de passage qu'on aura emmené le gouter. La veille du tout premier jour à l'hôpital l'angoisse et la boule au ventre comme si j'avais eu six ans et que c'était la rentrée. Et puis l'hiver trop sombre, la violence des premiers mois seule, et les soirées que je passais hagarde sur le canapé du salon sans savoir quoi faire de moi même. Nos week end de retrouvailles et les chocolats chauds pour reprendre du courage avant de rentrer le dimanche soir, les larmes dans la noir de l'autoroute, les heures au téléphone à raconter chacune des histoires de patient que je croisais et qui m'épataient encore. La difficulté à s'intégrer au travail quand la torpeur m'envahissait et que je peinais à être juste là. La découverte pas à pas de C. et son amitié précieuse qui a permis tant de soirées gaies au milieu du brouillard. Et puis un jour, changer de stage, grandir d'un semestre, réchauffer l'engourdissement, se retrouver soi. Il y a eu ce printemps si joyeux, la vie l'envie qui revenaient en moi, le sourire qui se dessinait quand mon réveil sonnait, l'impression d'appartenir à quelque chose, et tout cet accomplissement que j'essayais de partager. La gratitude pour ce quotidien - presque - parfaitement à mon goût à mes souhaits, avec juste un peu plus de lui ça aurait été mieux, mais j'étais si heureuse. Et si vous saviez comme c'est précieux, d'être sure aujourd'hui que j'ai été consciente de cette chance quand je la touchais du bout des doigts. Les quelques après midi à la plage, la découverte du marché, les soirées en terrasse, l'impression d'enfin délier mes bras et jambes dans cette ville que je commençais à faire mienne. Toujours nos retrouvailles, un peu plus compliquées, certes, mais son sourire au réveil et nos mains serrées qui valaient tous les week end du monde à travailler, pour profiter encore plus du goût de ceux ensemble. Et puis un jour, comme ça, comme de rien, les litres de larmes et d'eau salé. Les vacances qui ressemblent à une drôle d'épreuve au lieu du repos attendu, les journées seule à ruminer les souvenirs qui reviennent par flash la nuit le jour, le poids qui écrase les épaules, en attendant le moment où. Les matins sans pouvoir se lever, la douleur sourde, et l'épuisante incompréhension. L'été invincible mais l'impression de ne jamais avoir eu tant de tristesse en moi. Et puis les premiers matins sans flancher, la douleur comme un petit caillou au fond du bide, qui se fait oublier parfois, pas encore assez souvent.

Un an ici, un an à moi, toute seule, un an que je ne sais plus dormir, un an un peu piquant, un an où j'ai grandi comme en dix. Un an parfois un peu lourd à porter, quand on doit s'agenouiller toute la journée pour faire rire des enfants.



jeudi 26 mai 2016

Il y a un an. Je fais tourner dans ma poche la sucette rapportée de Belle Ile par les parents de N., parfum citron, que je n'arrive pas à manger, tandis que ma mère conduit dans les embouteillages parisiens. J'ai choisi une tenue dans laquelle je me sens moi, blouse liberty et collier nuage, mais je crois que je me suis perdue depuis longtemps. On a mesuré nos cernes avec une règle Marine et moi, un soir où il fallait bien trouver matière à en rire, de nos journée pyjama-chignon sale passées à faire des annales qu'on finit pas connaitre par cœur sans y comprendre plus rien. J'ai pris une énorme valise alors que ça ne dure que trois jours, mon père me trouve bizarre, ma mère me dit que j'ai bien raison. Arrivées à l'Ibis sordide du nord de Paris on déballe un appareil à croque monsieur et des bières, pour faire genre, tout va bien mais oui tout va bien, et on mange assises sur le grand lit elle et moi. Il y a les gens de la fac que je n'aime pas dehors, et surtout il y a celui d'avant qui a réussi, même aujourd'hui, a apporter encore un peu d'angoisse et de douleur en récupérant les clés de la chambre que je lui avais réservée du temps où on aurait du venir ensemble. Ces nuits là je n'ai pas dormi, je n'ai pas pleuré, mais j'ai enchaîné les crises d'angoisse (avec la définition qui défile dans le cerveau) (ce qui n'arrange rien, avouons le) et les textos à E. pour essayer de me calmer. Au matin je suis allée jouer mes prochaines années dans un hangar au dessus duquel il y avait une course de moto (oui oui), j'ai vomi sur le papier tout ce que je pouvais pour essayer de mériter pédiatrie-Paris, pis finalement j'ai pas réussi. Parmi les deux options fallait choisir et j'ai du faire un compromis. J'aime pas les compromis. J'ai été fâchée, très, puis j'ai été triste, longtemps. Il y a plusieurs mois un chef m'a fait chialer au beau milieu du service en me cuisinant sur l'ECN. C'est pas complètement accepté, mais on s'apprivoise, l'échec et moi, et depuis quelques semaines la cohabitation se fait plus facile. Il y a bien sûr les heures à la mer volées aux week-end d'astreinte, les cookies qui cuisent de nouveau dans ma cuisine et les soirées burgers avec les amies parisiennes qui viennent dormir parfois, l’apaisement que je gagne peu à peu en apprenant à dire non, et puis surtout il y a le changement de stage. Je n'ai plus besoin de me cacher dans les toilettes pour chialer le mépris des chefs, je passe beaucoup plus de temps à l'hôpital mais j'y reviens chaque matin le sourire aux lèvres parce que j'ai l'impression d'avoir été utile, quand j'arrive à faire bien, on me le dit. Et puis je dors de nouveau la nuit (et ça, ...). Je sors du tunnel de ce premier semestre en réalisant que tout ce qui me plaisait dans la médecine ne m'a pas complètement désertée, finalement, et que ce truc noir qui m'envahissait se limite désormais aux staff auxquels je dois assister dans l'ancien service. 
A la moi d'il y a un an, eh, arrête de râler contre ceux qui te disent que tout le monde est heureux de ce qu'il a finalement, t'es rentrée dans le cliché. 



dimanche 31 janvier 2016

A ceux que le silence rend fou

Le dimanche soir est encore un peu plus douloureux quand il commence par deux heures de voiture sous la pluie, le long de cet autoroute qui m'éloigne de chez moi. Sur le chemin je croise l'hôpital où j'avais passé les trois mois les plus chouettes de mon externat, et ça me semble être il y a un million d'années. Je le salue, eh merci pour ces jolis moments, et je me souviens que le ciel y était rose le matin, comme ici. Ce chez moi à géométrie variable, qui semble toujours être là où je ne suis pas. Ce chez moi que je ne sais plus bien définir, oscille furieusement entre l'appartement que j'essaie d'habiter et la maison où il n'y a plus d'affaire mais bien tous mes souvenirs. Merde, j'ai laissé mon mascara chez moi (à l'appartement) / ce week-end je rentre chez moi (à la maison) / on se retrouve ce soir chez toi ? (et là, je ne sais plus). Sémantique compliquée de l'entre deux rives.  

Un autre dimanche on est allées à la mer avec ma copine-d'ici. Dans la voiture elle avait choisi le CD de Céline Dion et j'ai pensé que j'avais drôlement de chance d'être tombée sur elle (en plus du fait qu'elle m'apporte des cornichons pour égayer mes nuits de garde) (ce qui fait d'elle une personne vraiment précieuse). Au bout de la plage il y avait un coucher de soleil comme on n'en avait jamais vu, un de ceux qu'on voudrait montrer à tous ceux qu'on aime pour leur dire, eh t'as vu ? si une chose si belle existe alors ça va, forcément, ça va !, et on faisait mille photos loupées avec nos téléphones qui rendaient tout bleu ou tout orange, quand on vieux monsieur à vélo est passé et nous a dit "Profitez en bien, ça fait un mois qu'on n'a pas vu cette lumière !". Et puis, comme il l'avait prédit, on a conduit le retour sous des trombes de pluie. 

Un soir où il était là, j'ai profité de sa main dans la mienne pour trouver une nouvelle fois le cran de rendre indélébile cette rancœur subtile que je voudrais transformer en force. Juste au bout de mes doigts il y a cette petite barre qui veut dire free as a bird, comme on l'avait décidé il y a un an et demi. Cette fois ci s'est faite sans douleur, j'ai décidé de le prendre comme un signe. Tout passe.