mercredi 26 octobre 2016

Il y a une fille qui penche

A ma droite la guirlande qui fait un peu noël et m'autorise à compter les jours avant celui où on se retrouvera ici tous les quatre, juste en dessous de la grande étoile lumineuse, la première installée. Un plaid sur les jambes, celui qui m'accompagne depuis les premiers jours de D4 et qui a essuyé tant de morve et de larmes que je ne pourrai jamais l'échanger, un thé brûlant au pain d'épice que ma co interne m'a offert, un matin de l'été où ça n'allait pas du tout et Agnel Obel en boucle depuis ce précieux moment chez E.. C'est mon dernier jour de vacances avant l'année deux mille dix sept et je ne sais pas bien quoi faire de moi même. Evidemment qu'il y a la salle de sport, les courses, l'article à rédiger, mais tout semble demander tant d'efforts, être si au-dessus des forces dont je dispose, là. La tristesse, en s'effaçant peu à peu, a laissé un champ de bataille en friche sur lequel les envies les idées l'énergie ne poussent pas (encore ?). Je n'ai plus mal, puisque je ne sens plus rien, sauf une fatigue immense. Les yeux grands ouverts dans le noir je négocie chaque nuit entre le repos et l'envie de laisser de côté les petits comprimés magiques. Cryoconservation, a dit quelqu'un. J'attends le dégel. 
Avec C. on parle des heures durant de ce stage qui nous a illuminées et des enfants qu'on connait toutes les deux, comme si c'étaient des petits potes, comme si ils faisaient partie du quotidien maintenant et qu'on allait continuer à se donner des nouvelles, se croiser tous les jeudis pour le pansement et le mardi pour la prise de sang. Mais non, on part ils restent, et ne se souviendront surement pas de cette flopée d'interne, eux qui en voient bien trop pendant leur long séjour à l'hôpital. En attendant, on monte des plans pour accueillir les futurs venus, on se filme en train de danser dans les couloirs, on prend des photos la bouche pleine de bonbons, et ils font la moue, un peu, quand je dis que la semaine prochaine je ne serai plus là. Si vous saviez les rires, si vous saviez les mots d'adultes dans leur bouche, la simplicité avec laquelle ils parlent de ces trucs violents que la maladie leur impose, si vous saviez les courses dans le couloir sur les pieds à perf ou les petits camions en plastoc ou nos épaules, si vous saviez la fierté dans ses yeux quand il m'a offert une boite de chocolats et son sourire à elle quand je lui ai montré où j'avais accroché son dessin, si vous saviez comme on est heureux quand celle qui hurlait il y a quelques semaines nous saute au cou et fait le tour du service pour dire bonjour à tout le monde. Il y a eu des journées d'une violence atroce, des soirs où je rentrais hébétée de ce à quoi j'avais assisté, des pleurs que je n'ai raconté à personne parce que voilà, comme m'a dit quelqu'un, tout le monde n'a pas envie de savoir que ça existe. Mais c'est pas ça qui gagne, comme il dirait. Je voudrais les remercier, tous, pour les six mois de joie.